Épilepsie et autisme : une association complexe Epilepsy and autism: a complex issue
C. Amiet*, I. Gourfi nkel-An, A. Consoli, D. Périsse, D. Cohen Service de psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, Université Paris 6, Laboratoire Psychologie et Neurosciences Cognitives, CNRS UMR 8189, France.
Décrite depuis longtemps, l’association entre autisme et épilepsie est maintenant clairement établie. Chez les sujets autistes, la prévalence de l’épilepsie est évaluée, selon les études, entre 5 et 40 % [1]. Ces taux sont nettement supérieurs à ceux observés dans la population générale qui sont proches de 0,5 à 1 %. Certains facteurs de risque de l’épilepsie dans l’autisme ont été identifi és ; nous les développerons. La signifi cation physiopathologique de cette association reste peu claire mais interroge : S’agit-il d’un lien comorbide sous tendu par une origine commune ? L’autisme est-il induit par l’épilepsie ? Ou bien est-ce une association fortuite ? Enfi n, nous évoquerons quelques implications thérapeutiques de cette association. 1. Autisme et épilepsie : les facteurs de risque La variabilité des taux de prévalence de l’épilepsie dans l’autisme est attribuée à la large hétérogénéité des populations étudiées et certains facteurs de risque ont été identifi és : le sous-type de trouble envahissant du développement, l’âge, l’existence de comorbidités associées, le sexe, et le retard mental. La prévalence de l’épilepsie varie selon le sous-type de trouble envahissant. La prévalence la plus faible (4 %) est observée chez les sujets présentant un syndrome d’Asperger (4 %) et les prévalences les plus élevées sont observées dans le trouble désintégratif de l’enfance (77 %) et le syndrome de Rett (90 %) [2]. La distribution en fonction de l’âge du développement d’une épilepsie est décrite selon une forme bimodale. Celle-ci comporte 2 pics : l’un dans la petite enfance – avant l’âge de 5 ans –, l’autre au cours de l’adolescence – après l’âge de 10 ans – [3]. Les sujets présentant un autisme dit « complexe » avec un trouble neurologique associé, comme une insuffi sance motrice cérébrale, une microcéphalie ou un trouble neurodéveloppemental avec des signes dysmorphiques ont un risque plus élevé de présenter une épilepsie [1]. Certains troubles associés à l’autisme ont euxmêmes une prévalence de l’épilepsie particulièrement élevée (par exemple, la sclérose tubéreuse de Bourneville). Le risque de développer une épilepsie est signifi cativement plus élevé chez les femmes autistes. Le ratio homme/femme est de 2/1 chez les sujets autistes avec une épilepsie alors qu’il est de 3,5/1 chez les sujets autistes sans épilepsie [4]. Dans l’autisme comme dans la population générale, le retard mental est un facteur de risque de l’épilepsie clairement identifi é. Récemment, une méta-analyse de 10 études a mis en évidence une prévalence réunie de l’épilepsie de 21,5 % chez les sujets autistes ayant un retard mental comparée à une prévalence de 8 % chez les sujets autistes sans retard mental. Également, cette étude montre que la prévalence de l’épilepsie est d’autant plus élevée que le retard mental est important [4]. 2. Autisme et épilepsie : quelle signifi cation physiopathologique ? Divers types de crises et de syndromes épileptiques ont été décrits en association avec l’autisme. Des anomalies épileptiques sont fréquemment observées sur les EEG des sujets autistes bien qu’en l’absence de crise, pouvant suggérer un seuil épileptique bas. La relation entre autisme et épilepsie est complexe et la signifi cation physiopathologique de leur association reste peu claire. Casanova et al. [5] suggèrent que l’altération de l’organisation interne des microcolonnes dans le cortex des sujets autistes pourrait être associée à un défaut dans l’inhibition locale des circuits de projection. Un défaut dans ces fi bres GABA-ergiques pourrait être corrélé à l’augmentation de la prévalence des convulsions dans l’autisme. Il est probable également que l’autisme et l’épilepsie partagent des causes génétiques et neurodéveloppementales, au moins en ce qui concerne l’autisme syndromique. L’épilepsie elle-même pourrait induire le développement des symptômes autistiques [6]. Deux exemples illustrent ce point : (a) quand le point de départ de l’épilepsie est localisé dans une aire cérébrale particulière, le plus souvent en temporo-frontal, une régression autistique survient, avec une amélioration substantielle après traitement médicamenteux ou même chirurgical [7] ; (b) plusieurs encéphalopathies épileptiques sont associées à un retard intellectuel et/ou des traits autistiques, probablement par un impact développemental spécifi que (par exemple, le Syndrome de West) [8]. Enfi n dans certains cas, considérant la fréquence élevée de l’épilepsie dans la population générale, une association fortuite entre l’autisme et l’épilepsie ne peut être écartée.
3. Autisme et épilepsie : quelles implications thérapeutiques ? Chez les sujets autistes, l’épilepsie associée, comme chez tout sujet avec une épilepsie, peut évoluer au cours du développement. Ainsi, si certaines épilepsies de l’enfance « guérissent » à l’adolescence, d’autres se poursuivent durant cette période et à l’âge adulte et certaines épilepsies débutent à l’adolescence. À l’adolescence, certains sujets autistes présentent des troubles sévères du comportement tels que violence, agitation ou comportements auto-agressifs. Les raisons de ces changements comportementaux restent souvent inconnues. Une origine épileptique est toujours à rechercher. Ainsi, au sein d’une population de 29 adolescents autistes, présentant tous un retard mental, hospitalisés pour de graves comportements perturbateurs dans une unité de soins intensifs psychiatrique, 15 patients étaient épileptiques. Pour 6 d’entre eux, la cause principale des troubles du comportement a été attribuée à une épilepsie non contrôlée et chez 3 patients, l’épilepsie n’était pas connue à l’admission (observation non publiée). Une prise en charge multidisciplinaire est donc primordiale et la répétition des investigations neurologiques (examen neurologique, EEG) en fonction de l’évolution du sujet est particulièrement pertinente [9]. Le traitement de l’épilepsie chez le sujet autiste reste guidé par les mêmes principes que l’épilepsie chez tout sujet. Le traitement antiépileptique est choisi en fonction du type de crise avec l’objectif d’un contrôle maximum des crises pour des effets secondaires minimum. En particulier, des effets secondaires psychiatriques sont décrits pour certains traitements épileptiques – détérioration cognitive, majoration de comportements agressifs – et peuvent avoir un retentissement particulièrement délétère chez le sujet autiste. Inversement, certains traitements psychotropes prescrits chez ces sujets peuvent induire des crises convulsives.
4. Conclusion Les relations entre autisme et épilepsie sont complexes mais leur compréhension pourrait permettre une meilleure connaissance des mécanismes physiopathologiques de l’autisme. Des recherches approfondies dans ce domaine devraient être encouragées. Sur le plan thérapeutique, cette association implique une prise en charge multidisciplinaire qu’il convient de développer. Références 1. Canitano R. Epilepsy in autism spectrum disorders. Eur Child Adolesc Psychiatry. 2007;16:61-6. 2. Tuchman R, Rapin I. Epilepsy in autism. Lancet Neurol 2002;1:352-8. 3. Volkmar FR, Nelson DS. Seizure disorders in autism. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry. 1990;29:127-9. 4. Amiet C, Gourfi nkel-An I, Bouzamondo A, et al. Epilepsy in autism is associated with intellectual disability and gender: evdence from a meta-analysis. Biol Psychiatry 2008;64:577-82. 5. Casanova MF, Buxhoeveden D, Gomez J. Disruption in the inhibitory architecture of the cell minicolumn: implications for autism. Neuroscientist. 2003;9:496-507. 6. Jambaqué I, Mottron L, Ponsot G, et al. Autism and visual agnosia in a child with right occipital lobectomy. J Neurol Neurosurg Psychiatry. 1998;65:555-60. 7. Nass R, Gross A, Wisoff J, et al. Outcome of multiple subpial transections for autistic epileptiform regression. Pediatr Neurol 1999;21:464-70. 8. Saemundsen E, Ludvigsson P, Hilmarsdottir I, et al. Autism spectrum disorders in children with seizures in the fi rst year of life - a population-based study. Epilepsia. 2007;48:1724-30. 9. Fédération Française de Psychiatrie. Recommandations pour la pratique professionnelle du diagnostic de l’autisme. Juin 2005.
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http://speapsl.aphp.fr/pdfpublications/2010/2010-17.pdf
C. Amiet*, I. Gourfi nkel-An, A. Consoli, D. Périsse, D. Cohen Service de psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, Université Paris 6, Laboratoire Psychologie et Neurosciences Cognitives, CNRS UMR 8189, France.
Décrite depuis longtemps, l’association entre autisme et épilepsie est maintenant clairement établie. Chez les sujets autistes, la prévalence de l’épilepsie est évaluée, selon les études, entre 5 et 40 % [1]. Ces taux sont nettement supérieurs à ceux observés dans la population générale qui sont proches de 0,5 à 1 %. Certains facteurs de risque de l’épilepsie dans l’autisme ont été identifi és ; nous les développerons. La signifi cation physiopathologique de cette association reste peu claire mais interroge : S’agit-il d’un lien comorbide sous tendu par une origine commune ? L’autisme est-il induit par l’épilepsie ? Ou bien est-ce une association fortuite ? Enfi n, nous évoquerons quelques implications thérapeutiques de cette association. 1. Autisme et épilepsie : les facteurs de risque La variabilité des taux de prévalence de l’épilepsie dans l’autisme est attribuée à la large hétérogénéité des populations étudiées et certains facteurs de risque ont été identifi és : le sous-type de trouble envahissant du développement, l’âge, l’existence de comorbidités associées, le sexe, et le retard mental. La prévalence de l’épilepsie varie selon le sous-type de trouble envahissant. La prévalence la plus faible (4 %) est observée chez les sujets présentant un syndrome d’Asperger (4 %) et les prévalences les plus élevées sont observées dans le trouble désintégratif de l’enfance (77 %) et le syndrome de Rett (90 %) [2]. La distribution en fonction de l’âge du développement d’une épilepsie est décrite selon une forme bimodale. Celle-ci comporte 2 pics : l’un dans la petite enfance – avant l’âge de 5 ans –, l’autre au cours de l’adolescence – après l’âge de 10 ans – [3]. Les sujets présentant un autisme dit « complexe » avec un trouble neurologique associé, comme une insuffi sance motrice cérébrale, une microcéphalie ou un trouble neurodéveloppemental avec des signes dysmorphiques ont un risque plus élevé de présenter une épilepsie [1]. Certains troubles associés à l’autisme ont euxmêmes une prévalence de l’épilepsie particulièrement élevée (par exemple, la sclérose tubéreuse de Bourneville). Le risque de développer une épilepsie est signifi cativement plus élevé chez les femmes autistes. Le ratio homme/femme est de 2/1 chez les sujets autistes avec une épilepsie alors qu’il est de 3,5/1 chez les sujets autistes sans épilepsie [4]. Dans l’autisme comme dans la population générale, le retard mental est un facteur de risque de l’épilepsie clairement identifi é. Récemment, une méta-analyse de 10 études a mis en évidence une prévalence réunie de l’épilepsie de 21,5 % chez les sujets autistes ayant un retard mental comparée à une prévalence de 8 % chez les sujets autistes sans retard mental. Également, cette étude montre que la prévalence de l’épilepsie est d’autant plus élevée que le retard mental est important [4]. 2. Autisme et épilepsie : quelle signifi cation physiopathologique ? Divers types de crises et de syndromes épileptiques ont été décrits en association avec l’autisme. Des anomalies épileptiques sont fréquemment observées sur les EEG des sujets autistes bien qu’en l’absence de crise, pouvant suggérer un seuil épileptique bas. La relation entre autisme et épilepsie est complexe et la signifi cation physiopathologique de leur association reste peu claire. Casanova et al. [5] suggèrent que l’altération de l’organisation interne des microcolonnes dans le cortex des sujets autistes pourrait être associée à un défaut dans l’inhibition locale des circuits de projection. Un défaut dans ces fi bres GABA-ergiques pourrait être corrélé à l’augmentation de la prévalence des convulsions dans l’autisme. Il est probable également que l’autisme et l’épilepsie partagent des causes génétiques et neurodéveloppementales, au moins en ce qui concerne l’autisme syndromique. L’épilepsie elle-même pourrait induire le développement des symptômes autistiques [6]. Deux exemples illustrent ce point : (a) quand le point de départ de l’épilepsie est localisé dans une aire cérébrale particulière, le plus souvent en temporo-frontal, une régression autistique survient, avec une amélioration substantielle après traitement médicamenteux ou même chirurgical [7] ; (b) plusieurs encéphalopathies épileptiques sont associées à un retard intellectuel et/ou des traits autistiques, probablement par un impact développemental spécifi que (par exemple, le Syndrome de West) [8]. Enfi n dans certains cas, considérant la fréquence élevée de l’épilepsie dans la population générale, une association fortuite entre l’autisme et l’épilepsie ne peut être écartée.
3. Autisme et épilepsie : quelles implications thérapeutiques ? Chez les sujets autistes, l’épilepsie associée, comme chez tout sujet avec une épilepsie, peut évoluer au cours du développement. Ainsi, si certaines épilepsies de l’enfance « guérissent » à l’adolescence, d’autres se poursuivent durant cette période et à l’âge adulte et certaines épilepsies débutent à l’adolescence. À l’adolescence, certains sujets autistes présentent des troubles sévères du comportement tels que violence, agitation ou comportements auto-agressifs. Les raisons de ces changements comportementaux restent souvent inconnues. Une origine épileptique est toujours à rechercher. Ainsi, au sein d’une population de 29 adolescents autistes, présentant tous un retard mental, hospitalisés pour de graves comportements perturbateurs dans une unité de soins intensifs psychiatrique, 15 patients étaient épileptiques. Pour 6 d’entre eux, la cause principale des troubles du comportement a été attribuée à une épilepsie non contrôlée et chez 3 patients, l’épilepsie n’était pas connue à l’admission (observation non publiée). Une prise en charge multidisciplinaire est donc primordiale et la répétition des investigations neurologiques (examen neurologique, EEG) en fonction de l’évolution du sujet est particulièrement pertinente [9]. Le traitement de l’épilepsie chez le sujet autiste reste guidé par les mêmes principes que l’épilepsie chez tout sujet. Le traitement antiépileptique est choisi en fonction du type de crise avec l’objectif d’un contrôle maximum des crises pour des effets secondaires minimum. En particulier, des effets secondaires psychiatriques sont décrits pour certains traitements épileptiques – détérioration cognitive, majoration de comportements agressifs – et peuvent avoir un retentissement particulièrement délétère chez le sujet autiste. Inversement, certains traitements psychotropes prescrits chez ces sujets peuvent induire des crises convulsives.
4. Conclusion Les relations entre autisme et épilepsie sont complexes mais leur compréhension pourrait permettre une meilleure connaissance des mécanismes physiopathologiques de l’autisme. Des recherches approfondies dans ce domaine devraient être encouragées. Sur le plan thérapeutique, cette association implique une prise en charge multidisciplinaire qu’il convient de développer. Références 1. Canitano R. Epilepsy in autism spectrum disorders. Eur Child Adolesc Psychiatry. 2007;16:61-6. 2. Tuchman R, Rapin I. Epilepsy in autism. Lancet Neurol 2002;1:352-8. 3. Volkmar FR, Nelson DS. Seizure disorders in autism. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry. 1990;29:127-9. 4. Amiet C, Gourfi nkel-An I, Bouzamondo A, et al. Epilepsy in autism is associated with intellectual disability and gender: evdence from a meta-analysis. Biol Psychiatry 2008;64:577-82. 5. Casanova MF, Buxhoeveden D, Gomez J. Disruption in the inhibitory architecture of the cell minicolumn: implications for autism. Neuroscientist. 2003;9:496-507. 6. Jambaqué I, Mottron L, Ponsot G, et al. Autism and visual agnosia in a child with right occipital lobectomy. J Neurol Neurosurg Psychiatry. 1998;65:555-60. 7. Nass R, Gross A, Wisoff J, et al. Outcome of multiple subpial transections for autistic epileptiform regression. Pediatr Neurol 1999;21:464-70. 8. Saemundsen E, Ludvigsson P, Hilmarsdottir I, et al. Autism spectrum disorders in children with seizures in the fi rst year of life - a population-based study. Epilepsia. 2007;48:1724-30. 9. Fédération Française de Psychiatrie. Recommandations pour la pratique professionnelle du diagnostic de l’autisme. Juin 2005.
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http://speapsl.aphp.fr/pdfpublications/2010/2010-17.pdf